Point ……….. à la ligne

Six artistes femmes, vivaces, coriaces, si possible perspicaces, voraces d’art, tenaces, et par-dessus tout conscientes d’être fugaces.

… Annick DOIDEAU en jonglant du trait au point nous aspire malgré nous, direct via cosmos. On devient point parmi la myriade de points qui scandent les espaces interplanétaires.
Parfois des liaisons s’esquissent, des mondes se rapprochent, des atterrissages s’amorcent, des cartes se préparent; on y gagne l’ivresse d’un monde logique. Ce qu’on croyait dédale, s’avère le vecteur du plaisir géométrique et de l’emboÎtement huilé de mécanismes simples. La couturière avec son patron, n’agit pas autrement. Elle doit se limiter à ces quelques traits de craie, source des infinies combinatoires …

… Nicole FELLOUS manie la ligne, prise dans le fil de fer pour enlacer l’espace par petits bouts. Discrète, elle se fait souffle, brin d’air, sillon lumineux, crispation d’onde.
Une rare feuille les dit toutes. Sa forme n’est pas loin du point, à peine allongée, pas encore formée, feuille enfant. L’ensemble paraÎt incertain et fragile. On n’est pas sûr que ça tiendra, on n’est pas sûr que c’est sérieux. Les oeuvres en tremblent de rire. Plus tard, les lignes s’assemblent en trames, puis c’est le verre dépoli qui à leur place, mais comme elles, font bouger l’image qu’ils recouvrent. Oscillations, effleurements, risques de disparition; délicatesse de l’éphémère. L’ordinaire prend stature d’extraordinaire …

… Chez Laurie KARP, ligne et point sont un peu de l’ordre du parti-pris; on dit ligne de conduite et points de recoupement. Son point focal est la boucle commune à deux ou trois mondes opposés qui viendraient à interférer. Dans l’univers des mots, on pourrait tenter la même chose: prendre trois planètes; calices, sexes, bouches. Pour ces trois mots une syllabe est phonétiquement, presque commune.
CALI(CES) SE(XES) BOU(CHES)
Se Xe Che
zz zz zz
Laurie KARP est pour nous l’hôtesse de ces frontières; elle nous conduit dans les bordures, les marges, les zones indéfinies, « les zones»; équilibres précaires; troubles; insécurité.
Assemblées, les parties ainsi obtenues donnent des hybrides. Matériaux et modes d’expression lâchent aussi les amarres pour rafraÎchir nos habitudes: l’image numérique devient lieu de broderie et miroir de la sculpture en terre cuite. Les habitudes logiques se perdent et la mémoire s’entrouvre …

… Les traits d’Anne SAUSSOIS dessinent les contours de nos marelles. On tire le fil qui entoure ces cases et l’on voit apparaÎtre, comme dans les boÎtes magiques, un saut, l’enfer, sur un pied, le paradis, sur les deux, un cactus, tête en bas, une treille, bras levé, un écho, les deux bras, un panier, bras sur les hanches, repos. Parfois les traits se détachent, se démultiplient, font des ombres et lumières. Ils se noient, transparaissent, se posent, s’extirpent, se lovent, s’embrasent, selon les couleurs qu’ils traversent. Ils sont comme les bras d’un mètre pliant fou, incapable de mesurer les vagues anciennes du souvenir. D’autres fois, ils font d’immenses gribouillages voilés, pareils à la colère derrière le salut poli ; ils s’opposent aux graphismes-herbes qui nous rafraÎchissent dans la chaleur ambiante. Va et vient de solitudes murées, en remue-ménage conviviaux. Etés …

… Les traits de pinceaux que trace Judith WOLFE jaillissent du corps. Ils respirent, transpirent, se pressent, s’alanguissent ; ils exaltent la chair du papier fragile qu’ils déchirent en se déchirant. Ils frôlent et interrogent les grandes plages de couleur simple. Elles ne bougent pas, elles sont là, présentes, suffisantes car elles ignorent le monde. Elles ne voient pas les arbres censés cacher la forêt,. elles sont indifférentes aux traces noires qui disent la souffrance des inarticulés, des tellement mal nés qu’à peine ils sont nés, d’ailleurs, ils s’éteindront de suite, floc, des flaques bientôt évanouies,. drames,. arrachements,. amours. Ainsi se croisent héritiers et déshérités,. motilité du nuage sur fond céleste immuable …

… Pour ma part, j’ai isolé la « touche» comme un point vivant, amibe élémentaire de la peinture. Plus tard, elle est devenue « tache », puis « flaque », aujourd’hui véritable petite mare. Dans les « Grandes Roses », les cassures de la toile pincée et rabattue sont à l’origine des lignes qui structurent les fleurs. Immergées sous la flaque colorée, ces conques se dressent et se maintiennent,. en séchant, le liquide glisse le long des flancs. La couleur s’allège sur les crêtes et s’accumule dans les creux. Les plis créent un filet à papillons pour capturer cette minuscule parcelle du monde qu’est la fleur.
Relation charnelle ou monde, empathie, témoignage direct et sons mot qui implique par le regard, une totale adhésion participative …

Peut-être est-ce un autre point commun entre nous six?

Point à la ligne.

Raphaëlle PIA